Biographie

« Lui qui savait dire les couleurs et leurs nuances et le mouvement des choses, d’un coup de pinceau ou d’un coup de plume, peintre et poète »

Xavier Grall - Extrait « à la recherche d’un roi de bretagne- Yves Elléouët » 

1932
Naissance d'Yves le 8 janvier à Fontenay s/s Bois. Son père, Jean Elléouët, comptable à l'Hôtel Cayré à Paris, est originaire de la Roche-Maurice ;
sa mère, Marcelle, couturière à domicile vient de Haute Marne.

1935
La famille s'installe à Garches.

1940-1944
Yves passe les années d'occupation à la Roche-Maurice chez sa grand-mère paternelle, avec sa tante et son oncle Yves, qui lui inspirera le personnage d'Eliezer dans Falc'hun. Entre 8 et 12 ans, se lie d'amitié avec le fossoyeur.

1945 
De retour à Garches, son père lui fait découvrir la littérature et l'entraîne dans les musées.
Yves, enfant précoce, a déjà commencé à écrire et à peindre.

1949 
Il quitte le lycée et entre à l'école Technique des Arts Appliqués, à Paris.

1953 
Diplômé des Arts Appliqués, Yves retourne régulièrement en Bretagne.
Pendant les vacances, il s'embarque à Lesconil sur un chalutier, continue à peindre et à écrire.

1954
Appelé au service militaire à St Maixent, il sera réformé en 1955 pour raison de santé.

1955
Attiré par le mouvement surréaliste, il fait la connaissance d'André Breton et de sa fille Aube.
En dépit des liens affectifs et intellectuels qui l'attachent aux surréalistes, Yves se veut essentiellement solitaire et à l'écart de tout mouvement.

1956
Yves et Aube se marient en décembre à Paris et s’installent au 117 rue de Vaugirard, dans l’ancien atelier du sculpteur David Hare.

1957-1958 
Apprend le métier d'héliograveur à l'école Estienne puis travaille comme retoucheur à l'imprimerie Lang à Paris.

Il se lie d'amitié avec le peintre Pierre Jaouen et l'écrivain Charles Estienne.
Une chaleureuse complicité les amènera à se revoir chaque été en Bretagne.
Ils écrivent à trois  "Portrait d'un Château" sous forme épistolaire, qui n'a jamais été publié.

1958-1959 
Yves arrête son travail à l'imprimerie, pour se consacrer à la peinture et à la poésie.
Il manie parallèlement pinceau et plume, "tiraillé" entre deux formes d'expression qu'il ne cherche pas à séparer.
Il peint et écrit en écoutant Charlie Parker, John Coltrane, Miles Davis, Billie Holiday…
Exposition de fresques, avec Pierre Jaouen, à la galerie de la Cour d'Ingres à Paris, qui montre une recherche symbolique sur "l'espace et le temps".
Il est attiré par Antoni Tàpies, Serge Poliakoff, Charles Lapicque, Nicolas de Staël.

15 décembre 1959 – 29 février 1960
Yves participe à l'Exposition Internationale du Surréalisme  Galerie Daniel Cordier, à Paris, qui a pour thème l'Erotisme, où il expose une toile "Nymphette » - 1959 - et un objet "Frôler la nuit" - 1959 -
Il déménage avec Aube au 42 rue Fontaine, au-dessus de l’atelier d’André Breton.

En septembre
Il signe le "Manifeste des 121", déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie.
Dans un projet de "repérage analogique*"  des artistes surréalistes, établi pour le catalogue de l'Exposition Internationale de New York (hiver 1960-1961), André Breton le place sous le signe de Merlin, en compagnie de Tanguy, Miro, Mimi Parent et Roland Giguère.

Mai 1961
Participe à l'Exposition Internationale du Surréalisme Galerie Schwartz à Milan, où il expose deux toiles : "Le Cyclope" -1960- et "L'entrée du Mastaba"-1960- . Rencontre avec Charles Lapicque.
Yves et Aube passent souvent leurs vacances au Palud, à La Roche Jaune (Côtes d'Armor) dans la maison prêtée par Calder.

1961 à 1966 
Yves travaille comme dessinateur au service "Label" du journal Elle.
Abstraite dans ses débuts, sa peinture devient de plus en plus figurative : paysages et mythologie bretonne. Rencontre avec Charles Lapicque.

Eté 1962  
Premier voyage à l'étranger. Découvre Pompéi.
Séjourne avec Aube à Ischia en Italie en compagnie de Charles et Marie-Hélène Estienne ; rencontre Fahr el Nissa Zeid, peintre et princesse turque, dans sa maison d’Ischia.

1966
Yves et Aube quittent Paris pour Saché en Touraine. Les Calder-Davidson leur trouvent une maison et les aident à s’installer.

1967 
Publication de "La proue de la table", aux éditions du Soleil Noir, journal intemporel de poèmes illustrés par Alexandre Calder. 
Voyage à Monségur ave Aube, André Breton, Simone et Adrien Dax.

1969
Il écrit le texte du court-métrage de Dominique Ferrandou "Requiescat in Pace", présenté aux Festivals du Court-métrage de Tours et de Montauban.

1971
Oona, sa fille, arrive de Corée.

1974
Publication du  « Livre des Rois de Bretagne » aux Editions Gallimard.
Yves commence l’écriture de son deuxième livre « Falc'hun ».

En septembre
Interview de Pierre-Jakez Elias dans son émission  Lu et Approuvé, pour FR3 Bretagne-Pays de Loire, introuvable dans les archives audiovisuelles ; invitation à l’émission « Ouvrez les Guillemets » de Bernard Pivot, jamais diffusée pour cause de grève.

27 Avril 1975
Ayant à peine terminé Falc’hun, Yves Elléouët meurt d’un cancer, à l'âge de 43 ans, à Saché, où il est enterré.

1976
Publication posthume de « Falc'hun » aux Editions Gallimard, préfacé par Michel Leiris

Pierre Jaouën dans "La Rivière échappée"

Le peintre dont je vais vous parler était un ami. Aussi, je vous parlerai de lui comme on parle d'un ami. Pour moi, il n'y a pas vraiment de séparation entre l'oeuvre et le personnage; donc parler de lui, c'est parler de son oeuvre et parler de son oeuvre, c'est parler de lui.
Charles Estienne – un écrivain qui a, lui aussi, des attaches profondes avec la Bretagne – a écrit dans une de ses préfaces que "ce qu'on écrit sur le sable n'est pas ce qu'on écrit dans les livres" et plus loin il ajoute : "On écrit toujours, mais la mer monte". Sans doute, faisait-il allusion à ces actes poétiques gratuits qui ne laissent aucune trace. Aujourd'hui cette phrase d'Estienne me paraît particulièrement opportune parce qu'elle me fait penser à ces tranches de vie, ces pages de sable que le temps effacerait à jamais si les amis n'en rendaient pas compte, rétablissant ainsi une relation plus vraie, plus tendre aussi, entre la vie et l'oeuvre d'un artiste.

Yves Elléouët, il me semble que je le vois "avec les yeux de la pensée", comme dit Hamlet. Je le vois à l'époque où il nous rendait visite dans le Finistère, partant pour ses promenades solitaires avec son petit carnet et son bout de crayon dans la poche.
Je le vois, quand nous marchions ensemble dans les rues de Paris, parlant de tout sauf de la peinture.
Je le vois dans son atelier de la rue Fontaine ou celui de la rue de Vaugirard. Je l'entends encore parler à son perroquet Vert-Vert en imitant l'accent du Nord Finistère. Je le vois surtout me lisant un de ses poèmes après avoir mis un disque de jazz. Il lisait sans emphase, s'appuyant sur la base rythmique et se coulant dans le phrasé de la trompette de Miles Davis ou du saxo de Coltrane. Aujourd'hui encore, je ne peux entendre des morceaux comme "Kind of Blue" ou "Round about Midnight" sans penser à Yves, tant sa vie, son travail étaient liés au jazz.
Comme son nom l'indique, Yves Elléouët est breton, mais il faut tout de même ajouter qu'il était d'abord parisien et c'est important de le dire car c'est son retour en Bretagne (ou plutôt son retour à la Bretagne) qui a marqué le tournant essentiel de son oeuvre plastique et littéraire.
Je crois que j'ai modestement participé à ces retrouvailles en organisant un séjour à Trémazan, dans le Finistère. Cette région, Yves la portait dans son coeur, car il avait passé les années de guerre à La Roche Maurice étant enfant.
Curieusement, Yves n'a jamais habité la Bretagne. Aube et Yves vivaient, comme on l'a dit à Paris. Puis ils se sont installés en Touraine quand la vie est devenue plus douce. Il n'y a pas de paysage plus français que la Touraine et on s'étonne de voir une oeuvre si typiquement celte naître dans ce "jardin à la française".
Cette apparente contradiction s'explique par le fait que la Bretagne est avant tout son territoire mental, son territoire de rêve – et pour le préserver il faut garder une distance avec le territoire réel, y retourner seulement de temps en temps, pour que le contact direct, violent, garde toute sa force révélatrice.

Yves est surréaliste, et il l'est même officiellement puisqu'il fait partie du groupe; mais surréaliste, il l'est surtout par sa manière de capter le merveilleux dans les situations ordinaires, dans cette façon de rester toujours ouvert à l'inattendu. Surréaliste, il l'est mais à sa manière: explorant un domaine à part et se tenant, pour cette raison, en dehors du groupe dont il critique dont il critique les petites manies et les tics de langage.
Il a toujours travaillé sans se préoccuper de ce qui se passait dans le groupe et le groupe ne semble pas s'être préoccupé de ce qui se passait dans sa tête. Etrangement, cet éloignement lui permet de maintenir une relation plus noble, plus franche avec Breton, mais il y a toujours entre eux cette distance qui est le signe d'un respect mutuel.
Parmi les jeunes surréalistes, Yves est sans doute celui qui a le mieux compris Breton et aussi celui qui l'a le mieux aimé. Cela tient au fait qu'en tant que poète, il se sert journellement de cette clef que Breton a offerte si généreusement à la jeunesse et à la poésie. (Je crois qu'on peut l'appeler la "clef des champs").

Pierre Jaouën

Le Prince du cimetière

 
J’aurais pu connaître Yves Elléouët. De Plougrescant à Tréguier, nombreux furent, en effet, ceux avec qui il fraya. Il aimait errer, solitaire, dans les ruelles, à travers le marché du mercredi, s’arrêter pour boire et causer dans les cafés. N’est-ce pas, Thérèse d’Arvag c’hlas, mère Capitaine d’Aux Vieilles Poutres, Alex du "petit tabac de la rue qui tourne" ? 
 
Car comment oublier ce baratineur étrange, ce beau garçon caustique, ce prince prolétaire qui ne recherchait que la compagnie des gens du peuple ? Mais pour y retrouver son angoisse et sa solitude. Ce qu’il retrouvait encore, par exemple, dans ce cloître aux fascinants gisants. 
 
Citons dans Falc’hun, le passage : "Chevalier sous les ardoises du cloître. Longuement étendu dans l’après-midi de mouettes et de tourterelles. Le sexe enveloppé de bandelettes descendant en compagnie de l’épée contre l’intérieur de  la cuisse, non loin du genou étoilé d’une fleur des champs ».
 
Tout un long chapitre du livre a pour objet un enterrement à Tréguier, sous la pluie : "le son des cloches lui-même est mouillé". Cette obsession funéraire, par quoi sans doute il est le plus profondément breton, Elléouët la porte depuis toujours. Depuis qu’il contemplait à l’église le crucifié ou le fossoyeur au cimetière.
 
Deux autres anecdotes là-dessus. La première : un soir, dans une nécropole près de la mer, il voit nettement se lever les morts pour parler.
La seconde vient d’un fait divers. Dans un village, un ouvrier agricole, qui vivait tout seul, qui ne parlait à personne s’est pendu. Passe le cercueil avec quelques voisins. Elléouët suit, et on lui serre la main comme à l’inconnu de la famille. Chaque fois qu’il revenait là, il s’inclinait sur la tombe abandonnée de cet homme dont il ignorait tout, qui pour lui représentait comme le désespoir absolu, et qu’il appelait le "prince du cimetière ».
 
Mais, attention, contre ce tragique qui le tue, il a ses  défenses, aucune concession, une sensualité panique, l’orgueil de son humour, et puis l’amour, la poésie, la Bretagne. Ecrire devenait pour lui d’une furieuse, d’une totale nécessité.
 
De telles visions l’aveuglaient, de telles voix le hantaient qu’il était obligé, au risque de se perdre, de les transcrire. Mais pour qui, en vue de quoi ? Ce qui, en définitive, va lui donner l’énergie suffisante, c’est que toutes ces visions et toutes ces voix, et son mal même, c’est que tout cela s’inscrira dans le destin d’une collectivité, la nôtre.
 
Jean Balcou